Pourquoi le gouvernement Draghi est arrivé et ses priorités.


 

  1. 59,64 millions d’habitants ; le PNB du Sud (19.000) de l’Italie est un peu plus de la moitié de celui du Nord (35.000) ; le COVID a emporté 95.486 personnes.
  2. Aprés le COVID, le taux de dette publique sera en 2021 de 160% par rapport au PNB, mais le niveau de dette privé est plus bas qu’ailleurs ; des reforme « austères » ont été appliquées avec un effet désastreux notamment sur santé, éducation et services publiques.
  3. Il faut noter cependant, que l’impact de la dette est plus un héritage du passé que de la mauvaise gestion actuelle, hormis les effets néfastes de l’évasion fiscale (110 milliards par an) et de la criminalité organisée.
  4. L’Italie reste la deuxième puissance industrielle après l’Allemagne et la deuxième Green Economy toujours après l’Allemagne. Le COVID a polarisé la situation économique. Il y a des secteurs industriels qui sont en train de se remettre en marche assez vite. Des autres (tourisme et Horeca,14% PIB) pas encore.
  5. L’Italie est parmi les cinq premiers pays du monde avec un excédent manufacturier de plus de 100 milliards de dollars (109,5 milliards d'euros en 2019). Elle est le pays européen au premier rang en termes d'agriculture biologique : 15,5 % de la surface agricole nationale utilisée. L’Italie est le leader de l'économie circulaire avec le plus haut pourcentage de recyclage (79%) de tous les déchets et a un système industriel parmi les plus efficaces en terme de consommation d’énergie.
  6. Taux de chômage : 11% ; taux de chômage des jeunes (34 ans) : 29,5% (janvier 2021)
  7. Postes de travails perdus à cause de la pandémie : 662.000, mais il y le blocage de licenciements jusqu’au 31 mars 2021 donc on pourrait se retrouver dans une situation encore plus difficile dans un mois.
  8. Les femmes et les jeunes sont les plus touchés. Entre novembre et décembre on a perdu 101.000 emplois. 99.000 sont des femmes. Le taux d’occupation de femmes est le plus bas en Europe (48%, 30% dans les régions du Sud). L’Italie est aussi avec le Japon le pays avec le taux de natalité le plus bas du monde.
  9. Il y 5,3 millions d’immigrés. On calcule que les immigrés irréguliers sont plus ou moins 600.000 personnes. Mais depuis quelques années, l’émigration, notamment des jeunes diplômés, a repris (130.000 l’année passée). 2 millions de personnes ont quitté le Sud depuis 2000.
  10. L’Italie a été jusqu’à fin 2020 un contributeur net au budget de la UE. Il ne sera plus le cas à partir de 2021. C’est aussi le pays qui pourrait recevoir le plus par le programme « Next Generation EU », 209 milliards d’euro divisés en 81,4 subventions et 127 en prêts, plus les Fonds structurels réguliers. L’Italie, aussi à cause de la très mauvaise situation des régions du Sud, sera le deuxième bénéficiaire des fonds structurels après la Pologne dans la période 2021-2027. L’Italie est après l’Espagne le pays qui a la plus grande difficulté à absorber les fonds européens, à cause des problèmes administratifs notamment au niveau des régions. Seul 30% des fonds 2013-2020 ont été dépensés, la moyenne européenne est 40%. Depuis 2011, l’Italie a payé 600 million d’euro en amendes à l’UE notamment en matière d’environnement..

 

La bataille au tour de la gestion de fonds européens est la raison principale de la chute du gouvernement Conte et de l’arrivée de Draghi.

A part ça, il y a aussi des raisons de testostérone, politiques et de système qui expliquent la crise.

Pour ce qui est du testostérone, Giuseppe Conte a perdu la guerre des coqs avec Matteo Renzi, ex chef du PD et ex premier Ministre, qui a commencé déjà en novembre (la politique italienne est encore une politique très largement masculine). Conte voulait gérer tout seul ou avec des ministres de son exclusive confiance et une nouvelle structure parallèle les fonds de la reconstruction ; il n’a pas compris à temps que Renzi (et pas que lui) ne l’auraient pas permis. Il a joué le rapport de force et il a perdu. Renzi d’autre part, il aurait pu se limiter à pousser pour remplacer Conte il avait obtenu la plupart de ce qu’il souhaitait. Mais Il a voulu « sur-gagner » : maintenant son influence est minimisée et la Lega est à nouveau au gouvernement. Pour ce qui est de la politique, l’alliance entre PD et Mouvement 5 Etoiles et le Mouvement5Etoiles lui-même a volé en éclat, après que Renzi ait retiré son appui au gouvernement Conte, et après que la penible recherche de Conte de remplacer Renzi avec d’autres appuis au Parlement soit tombée à l’eau. Le M5S a perdu plus ou moins 40 députés et sénateurs qui n’ont pas voté pour le gouvernement Draghi. Le PD est lui-même dans une crise profonde, c’est terrible de devoir gouverner avec la Lega. Le petit parti de gauche LEU c’est quant à lui divisé en deux. Donc, le résultat politique que Renzi a obtenu a été de remettre en selle Salvini et la Lega, qui reste le premier parti en Italie (23%) même si très loin des résultats des élections européennes (34%). Giorgetti, le nouveau Ministre de l’Industrie, a une approche beaucoup plus modérée que son chef et il est expression des secteurs économiques et industriels du Nord, qui soutiennent en partie la Lega, et ne voulaient pas rester en dehors de la gestion du gâteau européen.

En ce moment, la seule opposition en Parlement est représentée par Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite qui est passée en 2 ans de 6 ,5% à 16%.

Pour ce qui est de la crise du système politique, le Président de la République a dû se rendre à l’évidence de l’in capabilité de partis de trouver une solution même au milieu d’une pandémie. Il ne voulait absolument pas d’élections et a eu recours à la dernière ressource du pays, Mario Draghi. Le Président a aussi clairement dit que le nouveau gouvernement ne devait pas faire référence à une orientation politique définie et devait se concentrer sur la pandémie et les décisions autour du Recovery and Resilience Plan : ceci n’est pas seulement une question de redistribution d’argent : l’UE veut la réforme fiscale ; la réforme de la justice et des retraites, ainsi que le 37% pour le Green deal et le 20% pour la digitalisation. Draghi va surement revoir le Plan proposer par Conte.  Son gouvernement a 23 ministres ; 15 hommes et 8 femmes ; 8 ministres « techniques » dans les postes clé, notamment de décision sur le Recovery et les reformes plus importantes.

Donc, on se retrouve avec un gouvernement plus à droite, qui a comme seule opposition l’extrême droite. Le plan de Salvini et de Berlusconi est de préparer leur retour à une majorité de droite en 2023. Ils ont des très bonnes chances et pas un énorme intérêt à garder Draghi très longtemps. La majorité qui le soutienne est extrêmement divisée sur tous les points vraiment importants.

Ceci est le troisième gouvernement depuis 2018. Et c’est la troisième fois que le Président de la République doit faire recours (après Ciampi en 1993 et Monti en 2011) à un « saveur de la Patrie », vu l’incapacité des partis de trouver des solutions stables et efficaces.

 

La contribution italienne au Green Deal européen et les défis « verts » du nouveau gouvernement : Même si le Mouvement 5Etoiles est au pouvoir depuis les élections de 2018 (32%)  et a géré jusqu’à maintenant les Ministères de l’environnement et du développement économique, il a perdu toutes les grandes batailles même symboliques qu’il avait engagé (Lyon-Turin, la sidérurgie ILVA, etc) et les grandes lignes de la politique énergétique sont plus ou moins restées les mêmes que les gouvernements précédents: aucune action par rapport au 19 milliards d’euro en subsides publiques qui sont nuisibles à l’environnement versés chaque année ; méfiance et obstacles envers les RES (on devrais les multiplier pas 6 pour pouvoir atteindre les objectifs 2030), fort soutien au gas comme énergie de « transition » ; et  engagement plutôt positif en faveur de l’efficacité énergétique notamment pour les bâtiments. Donc en Europe l’Italie est assez OK pour tout ce qui est positionnement général sur le climat et l’économie circulaire (targets, pourcentage du budget, biodiversité, EE, etc) mais mauvaise pour ce qui est de la taxonomie, du rôle du gas et des rénouvables. Cette situation va probablement s’empirer avec le gouvernement Draghi à cause de la forte présence de parti de droite traditionnellement hostiles au politiques vertes comme la Lega e Forza Italia. Cependant, Draghi a fortement insisté sur le fait que son gouvernement sera un gouvernement « Écolo » et a accueilli la proposition du Mouvement 5Etoiles et des ONG, d’instaurer un Ministère de la Transition Écologique : hélas, et contrairement aux attentes, il n’a pas fusionné le Ministère de l’Industrie avec celui de l’environnement et des transports : il a juste élargi la compétence du Ministère de l’environnement à l’énergie. Le nouveau Ministre, Roberto Cingolani, est un physicien et un manager très prestigieux mais sans des vraie credentiales « vertes ». Il a été jusqu’à avant-hier le Chef de l’innovation et technologie auprès de Leonardo, la société à participation publique qui produit de technologies pour l’Aerospace, la défense et la sécurité (y inclus les armes). De plus, le ministère de l’Industrie est tombé dans les mains du numéro 2 de la Lega, Giancarlo Giorgetti, un éco-sceptique notoire.  Il est donc assez probable (on attend encore la nomination des Secrétaires d’État) qu’on aura en Italie un cas assez unique de Ministère de la Transition écologique pratiquement sans écologistes.

Et le Verts dans tout cela ?

Les Verts italiens sont encore dans une position marginale en Italie. Les décisions sur le Ministère de la Transition écologique en sont quelque part une démonstration, même si l’on doit encore attendre avant de perdre toute espoir. Même si traditionnellement en Italie les associations environnementales sont très fortes et présentes et le FFF avait réussi à mobiliser de millions de jeunes, et même si le M5S a toujours dit d’être en Mouvement écologiste, l’absence d’un parti Vert fort dans les institutions a un impact très négatif en Italie. Trois raisons pour cette situation qui n’évolue pas beaucoup depuis une bonne dizaine d’années : mauvaise organisation, leadership faible et fermée et division entre les forces écologistes, qui ont été encore plus affaiblies par les reformes électorales et du financement des partis successives. Absence d’attention de la politique et media sur les thèmes verts, qui ne sont pas vus comme des thèmes importants pour gagner les élections ; et méfiance de la société civile envers tous les partis. Pourtant il y a depuis peu quelques nouvelles énergies qui sont en train de se mettre en marche. On verra.

En conclusion, la solution Draghi est pleine de points d’interrogations. Mais on peut quand même encore espérer que l’homme du « whatever it takes » qui a sauvé l’euro pourra trouver quelques idées originales pour sortir le mieux de ses compatriotes.

 

Monica Frassoni, 22 Fevrier 2021